Les gouvernements français et britannique comptent justifier ce lundi devant la Commission européenne le bien-fondé des tarifs appliqués aux trains circulant dans le tunnel sous la Manche. Cette démarche fait suite à une demande de Bruxelles qui avait appelé à une réduction des coûts d’exploitation imposés par Eurotunnel.
Dans un mémoire commun remis aux instances européennes, Paris et Londres entendent réfuter les arguments avancés par la Commission. Trois points principaux avaient été soulevés par Bruxelles : un manque de transparence dans la fixation des coûts, des tarifs jugés excessifs et une possible atteinte à l’indépendance de la Commission intergouvernementale (CIG), l’organe chargé de superviser la sécurité et la régulation des opérateurs ferroviaires utilisant le tunnel.
Des tarifs justifiés par des coûts à long terme
Le ministère français des Transports a expliqué que les frais de péage appliqués sont calculés en fonction des coûts d’investissement à long terme et de l’amortissement des infrastructures, et non uniquement sur les charges opérationnelles. Cette approche permet, selon Paris, d’assurer la viabilité économique du tunnel et la pérennité du service ferroviaire transmanche.
Le PDG d’Eurotunnel, Jacques Gounon, a salué cette position commune lors d’une conférence de presse vendredi. « Les deux gouvernements sont alignés et rejettent conjointement la demande de la Commission européenne », a-t-il déclaré. Il a ajouté que modifier la structure tarifaire actuelle reviendrait à déstabiliser un équilibre financier déjà précaire. « Nous ne pouvons pas changer les règles du jeu au moment même où nous commençons à en voir les bénéfices », a-t-il souligné.
Une tarification en question, mais un marché restreint
En juin dernier, la Commission européenne avait formulé un « avis motivé » critiquant les coûts d’exploitation d’Eurotunnel et leur impact sur l’utilisation du tunnel. Selon le commissaire européen aux Transports, Siim Kallas, « le tunnel sous la Manche n’est pas exploité à pleine capacité en raison d’une tarification trop élevée ».
Actuellement, plusieurs opérateurs de fret empruntent le tunnel, mais Eurostar, filiale de la SNCF, est le seul transporteur ferroviaire proposant un service de passagers. Jacques Gounon estime toutefois que le problème ne réside pas dans le tunnel lui-même mais dans l’absence d’une véritable concurrence sur le segment du transport de voyageurs. « C’est une question d’opérateur, pas d’infrastructure », a-t-il affirmé, tout en prévoyant que le lobbying d’Eurostar ne faiblira pas face aux débats réglementaires en cours.
Des coûts supérieurs à ceux des autres lignes à grande vitesse
Un des points de friction porte sur le prix des billets pour les voyageurs. Selon Jacques Gounon, « indépendamment du péage, les tarifs d’Eurostar sont en moyenne de 50 à 70 % plus élevés que ceux de Thalys », qui assure des liaisons à grande vitesse entre la France, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas. La tarification appliquée dans le tunnel inclut une redevance de 16,60 euros par passager, ainsi qu’une redevance de réservation de 4 320 euros par train pour un aller simple.
Par ailleurs, l’entrée de nouveaux concurrents dans le marché pourrait modifier l’équilibre économique du tunnel. La Deutsche Bahn (DB) a obtenu en juin dernier l’autorisation de la CIG pour opérer sous la Manche et attend la livraison de ses rames. Son lancement est prévu pour fin 2015 ou début 2016.
L’issue du bras de fer entre Eurotunnel, les États et la Commission européenne déterminera l’évolution des tarifs et l’avenir du tunnel sous la Manche. En attendant, Paris et Londres campent sur leur position et défendent le modèle économique actuel comme une nécessité pour garantir la pérennité de l’infrastructure transmanche.